Rencontre avec Elsa Monségur, fondatrice de La Textilerie, un lieu “ressource” dédié à la consommation responsable de vêtements.

En un clin d’oeil

La boite

Nom : La Textilerie
Créée en : 2017

Les Faiseurs

Prénom, nom : Elsa Monségur
Âge : 32 ans
Études : HEC

Après avoir quitté son job dans le webmarketing et à la recherche d’un projet qui ait du sens, Elsa s’interroge à cette même époque sur sa consommation de vêtements, qu’elle avoue “frénétique”.

En parallèle, elle fait ses premiers pas en couture sur la machine de sa mère qu’elle n’avait jamais touchée. Petit à petit, Elsa se perfectionne, s’intéresse aux matières et à l’ensemble de la filière textile. La prise de conscience est nette : il faut changer notre consommation de la mode en commençant par interroger son impact social et environnemental.

Avec La Textilerie et ses différentes activités (vente de tissus bio, recyclerie, cours de couture, repair café, vente de créateurs, location de machines à coudre) Elsa souhaite promouvoir la consommation responsable de vêtements et sensibiliser au savoir-faire et aux ressources nécessaires à la fabrication des vêtements.

La petite équipe de Faiseurs de Boite est partie à la rencontre d’Elsa pour découvrir ce lieu de 130 m2 dans le 10e arrondissement de Paris.

Qu’est-ce que la Textilerie ? Qu’est-ce qu’on y trouve ?

La Textilerie, c’est un lieu dédié au textile éco-responsable où on regroupe différentes activités et produits sur une logique de filière.

On trouve à la fois des tissus, des matières premières dont on connaît la production, des produits de créateurs qui sont dans une démarche d’éco-conception et de fabrication éthique et on s’occupe aussi de la fin de vie des vêtements puisqu’on a une activité de recyclerie : on collecte les textiles usagés et soit on les revend, soit on les transforme, soit on les donne à des associations. On s’occupe de prolonger leur vie.

On a aussi une activité d’ateliers de couture où on transmet des compétences pour que les personnes puissent réparer, fabriquer, transformer leurs vêtements et acquérir une certaine autonomie dans leur habillement. Donc voilà, c’est vraiment une logique de micro-filière.

Quelle est la particularité des tissus vendus en boutique ?

Les tissus que l’on vend sont uniquement des tissus en coton bio certifiés GOTS. Au niveau environnemental, la certification s’assure que les règles de l’agriculture biologique sont respectées : aucun OGM, pesticide ou herbicide n’est utilisé dans la culture de la fibre. Côté social, la certification s’assure que chaque acteur de la chaîne, de celui qui cultive le coton, à celui qui le tisse, le tricote, ou l’apprête, respecte les règles de l’Organisation Internationale du Travail.

Comment sont sélectionnés les créateurs dont vous vendez les pièces ?

On s’appuie sur deux critères. Le premier, le choix des matières utilisés pour la confection des pièces. On s’assure que le créateur utilise des matières de qualité, du bio, ou des tissus de fabrication française, voire des tissus existants qu’il transforme.

Second critère, les conditions de fabrication : tous nos créateurs font fabriquer en Île-de-France. Quatre sur nos cinq créateurs passent par l’atelier Mode Estime avec lequel j’ai monté La Textilerie. C’est un atelier de réinsertion par la couture.

“À l’époque, j’étais dans une consommation frénétique, voire maladive, de vêtements : moins c’était cher, plus cela me poussait à acheter.”

Comment le projet est né ?

Le projet est né de ma rencontre avec Alice, la directrice de Mode Estime. À ce moment-là, j’avais en tête l’idée d’un lieu qui redonne vie aux vêtements, où l’on trouve à la fois une friperie, un espace dédié à la vente de mercerie et un atelier pour que chacun puisse fabriquer soi-même ses vêtements ou accessoires.

Une créatrice m’a conseillée de prendre contact avec Alice puisqu’elle avait des envies et des idées assez similaires.  Alice imaginait également un lieu où l’on puisse acheter du tissu bio car ces tissus se trouvent facilement sur internet mais quand on fait de la couture, c’est super important de pouvoir toucher les matières.

Finalement, on a fusionné nos idées et nos envies pour créer un lieu « ressource » autour du textile avec du tissu bio, une friperie, des pièces de créateurs, la mise à disposition de machines à coudre, des cours de couture et un café.

la-textilerie-paris-elsa-monsegur

D’où t’es venue cette envie de monter ton propre projet ?

J’ai toujours beaucoup aimé les vêtements et les vêtements de seconde main. J’ai toujours aimé chiner. À l’époque, j’aimais beaucoup les vêtements pas chers, j’étais un peu dans une consommation frénétique, voire maladive, de vêtements : moins c’était cher, plus cela me poussait à acheter.

En parallèle, je commençais à me poser beaucoup de questions sur ma vie professionnelle, je n’y trouvais pas vraiment mon compte et je m’interrogeais sur le sens de mon activité. J’étais chef de projet e-commerce pour de grosses entreprises. J’ai décidé de quitter mon job. J’ai eu la chance de partir dans de bonnes conditions. A ce moment, je me suis beaucoup questionnée sur ma consommation, et évidemment, sur ma consommation de vêtements. J’allais avoir moins d’argent en étant au chômage, alors je me suis dit qu’il était temps de se calmer et de consommer moins.

Par ailleurs, j’ai toujours aimé bricoler : je faisais beaucoup de bijoux. J’avais également une machine à coudre qui était à ma mère que je n’avais jamais touchée. Pour apprendre, je me suis mise à transformer des fringues à moi. C’est comme ça que j’ai commencé à coudre. Puis forcément, je me suis intéressée aux matières et aux différents types de fibres qui existaient : comment elles étaient produites, comment elles étaient transformées. Et c’est assez rapidement que l’idée de créer un lieu où l’on puisse récupérer mais aussi faire à germer.

La découverte et l’apprentissage de la couture ont donc été les déclencheurs ….

Oui. Et puis, la couture, ça permet de développer plein de choses. Déjà, la satisfaction d’avoir réussi son ouvrage ! La couture permet aussi de développer ses capacités de modélisation, c’est un moyen de s’intéresser aux matières et d’avoir conscience du savoir-faire humain et de toutes les ressources nécessaires pour un seul vêtement.

Tu te rends vite compte qu’acheter un vêtement 3€ neuf c’est complètement déconnant. Faire soi-même permet de se rendre compte de la valeur, de la complexité d’un vêtement et de la nécessité de faire plus attention à la manière dont on achète, dont on porte, et entretient les vêtements.

La Textilerie, c’était un bon moyen pour faire prendre conscience aux personnes qu’il faut consommer moins et mieux …. mais surtout moins !

la-textilerie-paris-elsa-monsegur

Tu as commencé seule la couture, et après ? Comment as-tu acquis  tes connaissances en textile ?

J’ai ensuite pris des cours à la mairie de Paris, l’idée n’était pas d’atteindre un niveau professionnel. Je me débrouille, mais ce n’est pas moi qui donne les cours de couture ici ! Je n’ai pas le niveau, et je crois que je n’ai pas la patience non plus pour assurer les cours (rires). Je me suis aussi auto formée en lisant beaucoup ou en suivant des formations en ligne. Enfin, j’ai pris des cours de technologie textile.

Avez-vous bénéficié d’un accompagnement pour développer La Textilerie ?

On a postulé à 2 incubateurs. C’était super enrichissant d’être dans cette démarche. Ne serait-ce que pour remplir le dossier d’inscription : cela te permet de te poser des questions, de réaliser une étude de marché. On a postulé à l’incubateur de l’ESSEC qui accompagne des projets dans l’ESS. Finalement, nous n’avons pas intégré la promo, mais pendant deux jours, tu bénéficies d’un mini accompagnement : tu bosses sur ton projet, tu le définies, tu es challengé, tu pitch, etc.

J’ai également pu bénéficier des précieux conseils d’un des cofondateurs du Point Carré, un lieu un peu hybride où l’on trouve une boutique, un café, un espace de coworking. J’ai passé 6 mois dans leur espace de coworking et les rencontres furent enrichissantes.

“La couture permet de développer ses capacités de modélisation, c’est un moyen de s’intéresser aux matières, de prendre conscience du savoir-faire humain et de toutes les ressources nécessaires pour un seul vêtement.”

Comment avez-vous financé le projet ?

On a fait un emprunt auprès de France Active, un réseau qui permet aux projets issus de l’ESS de se développer. Leur aide vient compléter un emprunt réalisé auprès d’une banque. Comme notre projet repose sur une association, on a pu bénéficier d’un prêt à taux zéro.

L’avantage de France Active, c’est qu’ils garantissent une partie du montant de l’emprunt que tu as fait à la banque. Donc si France Active accepte de t’aider, en général, la banque suit. Sinon, j’ai également fait un apport personnel et mon père aussi. On bénéficie également d’une subvention de la Mairie de Paris qui représente 10% du budget total.

la-textilerie-paris-elsa-monsegur

Quelles sont les sources de revenus de La Textilerie ?

On est à 90% en autofinancement avec la combinaison de nos différentes activités. Les cours de couture représentent la majorité de nos revenus : l’idée est donc d’en proposer davantage. Puis viennent les revenus issus des ventes en boutique : la recyclerie, les pièces des créateurs, le tissu, et le café.

On a pour projet aussi d’intervenir dans les entreprises, sur des ateliers de type « teambuilding » par exemple.

La Textilerie repose avant tout sur un lieu, un espace. Comment s’est passée l’étape de la recherche ?

Effectivement, quand tu montes un projet comme celui-ci, le lieu, c’est le point crucial. Pour louer un lieu, il faut avoir un plan de financement. Nous avons validé le nôtre en mai 2017, puis nous avons visité le lieu le même mois. Nous avons fait une offre et notre dossier a été accepté en septembre. Au final, c’est l’unique lieu que nous avons visité. Il nous a de suite plus, non seulement pour son état mais aussi pour le quartier.

Aujourd’hui, comment te sens-tu vis-à-vis de ton projet ?

Je suis assez confiante sans m’enflammer pour autant. Je suis plutôt du genre prudente. Pour le moment on a de très bons retours sur le projet ce qui est encourageant. Toutefois, j’ai la tête dans le guidon tout le temps. Le projet est très prenant, voire aspirant. En tout cas, c’est super enthousiasmant de travailler dans un lieu qu’on a pensé, imaginé et créé.

la-textilerie-paris-elsa-monsegur

T’es-tu inspirée d’un autre lieu ?

Il y a endroit que j’affectionne beaucoup c’est La Réserve des arts à Pantin. Ce lieu nous a beaucoup inspiré car il s’agit d’une association qui récupère du matériel d’entreprises, le tri et le revend aux professionnels de la création, ou à des associations du secteur culturel pour qu’elles puissent à leur tour le transformer. On va d’ailleurs souvent se fournir chez eux pour nos ateliers couture.

Il y a un autre lieu qui nous a inspiré, c’est L’Etablisienne à Paris qui fonctionne un peu comme La Textilerie mais dont les activités tournent autour du bois. Ils mettent à disposition du matériel pour pouvoir fabriquer des objets avec des rebuts de bois, et ils délivrent des cours pour apprendre à créer des objets.

“J’aimerais beaucoup créer une collection de A à Z avec les habitants du quartier : du mood board, au dessin des pièces, en passant par le montage des vêtements et le défilé !”

Comment vous répartissez-vous les rôles ?

Karidja s’occupe du tri des vêtements, de la vente en boutique et de l’accompagnement des personnes lors des repair café ou lorsqu’elles louent les machines à coudre de l’atelier. Clémence est professeure de couture. C’est elle qui anime la plupart des cours et elle s’occupe un peu de la communication. Karidja et Clémence sont salariées à mi-temps.

Mathilde est en service civique et elle gère les partenariats avec d’autres associations. Par exemple, nous allons faire un partenariat avec Le Carillon pour que des personnes démunies puissent venir se servir dans les vêtements que nous collectons sur un créneau fixe.

Quant à moi, je suis présidente et bénévole pour le moment de l’association. Je vis actuellement sur mon chômage. Je m’occupe de tout ce qui relève de l’administratif, l’accueil des clients, la communication, les ressources humaines. Et enfin, Alice est trésorière de l’association et bénévole. Elle vient une fois par semaine en boutique.

la-textilerie-paris-elsa-monsegur

Un projet un peu fou ?

J’aimerais beaucoup créer une collection de A à Z avec les habitants du quartier : du mood board, au dessin des pièces, en passant par le montage des vêtements et le défilé !

Petite, tu rêvais de faire quoi ?

Et bien bizarrement, je voulais très tôt être femme d’affaire chez L’Oréal, ce que je trouve complètement gravos ! (rires). Ca me fascinait, la femme glamour avec un attaché case … Je ne sais pas du tout comment je dois l’interpréter… Bref. « L’Oréal, parce que je le vaux bien », quoi !

la-textilerie-paris-elsa-monsegur